LE RITE DE L’ANNEAU (3)
septembre 19, 2012 1:51Le rite de l’anneau était un usage ancestral. Une tradition par laquelle les femmes de la plaine côtière réparaient certaines plaies. Celles faites à leur cœur. Châtiment original et radical où se lavait, pour ainsi dire, l’affront à la cyprine. Le mâle devenait alors l’enjeu d’un jeu d’escrime. Simple pièce du domino de colères féminines. Entre haine et amour, cruauté et sensualité, se côtoyaient, se caressaient, s’étreignaient – en une troublante symétrie – les sentiments les plus contradictoires.
La mémoire collective faisait remonter l’avènement du rite à une aïeule. Elle se nommait Bahadjo. Revenait par bribes l’écho de sa romance blessée, le souvenir de son cœur fléché par le sort. Baly était ce garçon de lignée patricienne, dont l’âme avait rencontré la sienne. Randonnées passionnées le long de la berge, repas au détour de sentiers boisés, regards emmêlés de jeunes tourtereaux et des griots incontinents qui déjà, chantaient de vers luxuriants, ce qui n’était encore qu’une romance naissante.
Mais au cœur de ce tableau presque parfait, le diable s’était logé dans un détail. Un détail aussi menu qu’un stylet d’anophèle. Il y avait eu cette méchante fièvre, clouant trois jours, la belle Bahadjo au lit. Paludisme, asthénie et l’évidente baisse d’attention par laquelle, la malade péchait comme par omission.
Bahadjo avait eu l’innocence de demander à Sahadjo, sa cadette, de porter un seau d’eau au fiancé esseulé quelques jours.
-Sois gentil avec Baly. Occupe-toi de lui, comme je l’aurais fait moi-même, petite sœur !
La jeune biscornue avait pris la recommandation au pied de la lettre… Ou plutôt, au pied d’une lettre de son petit cœur de froide félonne.
-Je peux entrer ? avait-elle miaulé dans l’embrasure de la porte de Baly.
A l’intérieur, les choses s’étaient déroulées assez vite. Sahadjo, déconcertante de détachement, avait proposé au fiancé interloqué un massage :
-Me masser ? mais je ne suis pas malade !
Mais tout mâle, comme c’est bien souvent le cas, devant l’apparente faiblesse féminine, finit bien par chanceler. Debout, les yeux rivés au plafond, Baly avait tonné, guttural :
-Vas-y !
L’étoffe tiède s’était posée sous le menton du nigaud. Il en avait serré des mâchoires fortes, ouvert la bouche, reniflé, disant entendre un petit bruit.
-Comme de petites pierres qui grincent…
-Mon collier… je l’enlève ?
Baly n’avait pas eu le temps de répondre. La jeune femme, déjà libérée de toute étoffe, avait fait mine de rompre le collier… porté aux reins. Le fiancé étourdi par la vision, avait juste trouvé la force de bafouiller une incongruité :
-Ah le collier habite ici aussi ?
Avaient suivi d’autres questions tout aussi louches…
L’Homme lui-même – ébahi par le baya – s’était surpris ! Il avait pris au collet le petit collier, l’avait reniflé, mordu, insulté, pincé. Du front. Des narines. Du torse. Du buste. Du soi. Du plus-soi. Le petit collier, en revanche, l’avait observé. Mesuré. Jaugé. Tranquillement. Lui avait donné un coup. Un seul coup. Au bon endroit. Au très bon endroit. Le paysan s’était effondré. En larmes. Et non nécessairement en pleurs.
Touché par la grâce du petit chapelet rouge, il avait, depuis lors, abjuré son projet d’épouser l’aînée. Quelques mois plus tard naissait aux amoureux frauduleux un rejeton, quand dans l’esprit de Bahadjo, la fiancée trahie, était née, sourde et virulente, l’idée d’un rituel de vengeance…
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Cet article a été écrit par Marc-Henri Ettien
Comments (7)
Mince…speechless!
oh!! on comprend mieux. contente que la partie 2 ne soit pas la fin!!!
ok! merci beaucoup pour la suite! j’ai appris beaucoup de mot que je ne savais pas. j’adore! merci pour le mot cyprine… je ne le connaissait pas.
j’ai quand même eu un peu de mal à comprendre le texte. mais au finish, c’est passé! merci!
Beau texte comme d’habitude où dansent des sèmes souvent savants. Ce groupe de mots » amoureux frauduleux » brille par sa rime interne. Pourtant le mot « frauduleux pourrait trouvé un substitut plus parlant. Toi Ettien je sais que tu me comprends.
finalement l’histoire est belle, vocabulaire pluriel, beauté dans la façon d’énoncer les évènements. Le problème, c’est que l’histoire dès le premier épisode n’accroche pas vraiment, la force est qu’on a tellement envie de comprendre le rite de l’anneau qu’on continue à lire. Et quelle classe dans la description des scènes érotiques, félicitations !!!
Up! Où est donc passée cette plume si colorée et truculente?
didon!!