LE CIEL EST BLEU
février 12, 2013 11:24♬ Le paradis, se trouverait sur terre… Je n’y ai vu que du feu. Je n’y ai vu que la guerre…♬
L’enfant les dévisage, l’index tremblotant sur la gâchette. Ses yeux accouardis rencontrent les leurs, insipides, vidés de leur peur. Que leur faut-il craindre encore ? La mort est là, entre les doigts de l’enfant. Il ne peut se dérober à cette fatalité qu’il questionne. « Tue-nous qu’on en finisse ! » disent leurs yeux. « On mourra tous un jour. Fallut-il que ce soit par la guerre ? » se demande l’enfant.
« Exécution ! » dit le caporal-chef, péremptoire.
Pan ! Pan ! Pan ! (Rafale de tirs)
« Débarrassez-vous des corps » poursuit-il avant de se retirer.
L’enfant expire. Il refoule la brume fumigène des kalaches, la senteur fétide de l’élixir de la guerre, l’ombre de la mort. Il se recueille, pour réclamer son humanité. Il lève les yeux, fixe le ciel. « Regarde, le ciel est bleu. Le ciel est beau. Il est pur, il est paix » lui disait son frère aîné Nkulu, jadis…
L’enfant se souvient. « Un jour, la guerre a éclaté. Et depuis, elle a réclamé tous les hommes valides du village. Les adultes, ensuite les jeunes adultes, puis les adolescents et enfin les enfants. La dernière fois que j’ai vu mon père, il partait à la guerre. Ensuite, ce fut au tour de mon oncle. Puis, Nkulu. Quand on part à la guerre, on ne revient plus. Même votre cadavre ne revient plus. Nkulu avait 13 ans quand ils l’ont enrôlé. Un frêle garçon qui exerçait ses méninges plutôt que ses muscles flasques… Une fois, j’ai demandé aux nobles du village pourquoi on faisait la guerre. J’en ai eu les lèvres tuméfiées. Personne n’a reposé la question et la file de la mort est allée en s’allongeant, chacun attendant d’y passer, de partir pour ne plus revenir. Seuls les blessés à vie ont le droit de revenir au village. Nkulu est revenu après 3 ans. L’âme mutilée et la jambe gauche amputée… »
♬ Certains diront que la guerre est nécessaire, que le sang encore il faut faire couler… Mais, c’est le nerf de la guerre, de se nourrir des âmes torturées. ♬
Assis sur une butte de terre, l’enfant dit à son ami : « Mano, regarde ! Le ciel. Il est bleu… Nkulu me disait : « Regarde le ciel. Il est toujours au-dessus de nos têtes, il nous suit partout où nous mènent nos pieds, il se dresse partout où nos yeux le cherchent. Il est espoir, il est commencement, il est vie… » »
Mano l’interrompt : « Pas si fort ! Le caporal pourrait t’entendre et l’on finirait comme Nkulu… »
L’enfant se rappelle. « Un jour, j’ai demandé à Nkulu comment c’était la guerre. Il m’a regardé et dit : « La guerre est un mensonge. Ils nous ont menti pour faire de nous des bêtes humaines, des hommes sauvages, des machines sans âme, sans vie. Rien ne nous oblige à vivre ainsi ! Et je refuse de mourir pour rien. La vie vaut mieux que la guerre… » Il a voulu le dire aux autres, pour qu’eux aussi choisissent la vie. Mais les soldats l’ont rattrapé, exécuté publiquement pour envoyer un contre message à tous ceux qui bientôt iraient faire la guerre, à toutes ces mains qui chargeraient des kalaches, égorgeraient des vies, tous ces pieds qui marcheraient sur des mines antipersonnelles, qui écraseraient des vies… »
♬ Ai-je tort de penser que la paix existe? Faut-il que je pleure encore, que la douleur persiste? Je refuse ce combat, la lutte est inégale. Si l’amour est une arme, alors mes mots seront les balles…♬
Les deux enfants ont les yeux fixés sur le ciel. Ils le contemplent en silence, le scrutent avec espérance, se disant qu’un jour peut-être, ils auront une enfance. Un jour peut-être. Au ciel.
Pan ! Pan ! Un tir, puis un autre. La déflagration se prolonge dans un écho qui perce le silence. Comme les deux trous dans la cervelle de l’enfant. Les yeux de Mano s’arrachent du ciel bleu pour s’abattre avec épouvante sur la terre rouge, rouge sang, rouge du sang de l’enfant, son ami.
« La prochaine fois… ce sera toi » dit le caporal.
♬ La guerre, à quoi ça sert? ♬
NB: Les paroles du chant sont extraites de « La guerre » de Les Nubians.
Cet article a été écrit par Tanya Gourenne
Comments (21)
Très beau texte d’une profondeur émotionnelle qui décrit parfaitement le thème de ce jour. Merci pour ce texte.
Valdo, merci d’avoir apprecié ce texte.
Le texte est magnifique 🙂 Bravo j’aime beaucoup
Merci Wonseu.
Très beau texte ! Mes respects. C’est du bon !
Marc-Henri, c’est un bien grand compliment (surtout venant de toi). Merci.
C’est magnifique, on y sent beaucoup d’émotion,c’est un texte qui vous prend aux tripes, et vous laisse pensif … Chapeau, Tanya!
Merci beaucoup Sadjee, vraiment.
Texte de belle facture. Merci
Merci Sas.
Superbe plume Tanya j’aime beaucoup j’ai cherché de fond en comble remué de bas vers le haut pour trouver un point négatif j’ai pas trouvé chapeau
Arigato Gosaimasu Suzaku.
Do itoshimashite…. omedetō gozaimasu.
C’est un beau travail! « Quand on part à la guerre, on ne revient plus. Même votre cadavre ne revient plus », eh oui, la vérité est bien là! Et puis les extraits de la chanson des Nubians ont été bien choisis pour le texte, chapeau!
Merci Hanielophir.
Original . Belle narration . Bravo !
Beau texte… Il est original et dégage plein d’émotions
Merci Marshall et Miss Shinee Jo d’avoir lu et apprécié.
Merci beaucoup, cousine Tanya Gourenne car ton texte sort vraiment de l’extra-ordinaire et sache que tu a tous mes soutien…
brillant texte!!!
mon passage préféré: »La déflagration se prolonge dans un écho qui perce le silence. Comme les deux trous dans la cervelle de l’enfant. Les yeux de Mano s’arrachent du ciel bleu pour s’abattre avec épouvante sur la terre rouge, rouge sang, rouge du sang de l’enfant, son ami. »
Thanks Heidi.