« LA VIE,A 65 ANS »
février 14, 2013 10:30La vie avait fait son entrée par un soir d’hivernage. Elle était entrée en l’embrasure du confessionnal, portée par le souffle d’une marche éthérée. La vie ne parlait pas. Elle troublait l’ouïe d’une symphonie sidérale. La vie ne riait pas. Elle chantonnait à l’âme la plus insolente des romances.
Oui, il eût fallu qu’entre la vie et la prêtrise soit dressé un mur, un rideau infranchissable pour que soit préservée la mort au péché. Etre prêtre, c’était mourir à la vie et à ses passions. Etre prêtre, c’était mourir à l’exubérance et à la volupté, être prêtre c’était mourir à soi et à elle.
Et voici que la vie était venue. Avait confessé des péchés. Mais ces péchés étaient déjà les miens. Tout me portait à la vie. Et la sincérité de la parole et la force de caractère se détachant de cette voix.
Et le sort m’avait mis face à la vie. Dans cette pièce, où détaché de ma toge et des attributs de ma fonction, j’avais fait corps avec la vie, prononçant en onomatopées argotiques, la plus blasphématoire des prières. J’étais venu à la vie à 65 ans. Nos corps s’étaient épuisés à aimer. La vie sur mon épaule portait mon souffle.
Elle s’appelle Viviane. Je l’ai surnommée la vie. Et elle le porte bien, ce surnom, c’est mon…avis. Pour elle, aujourd’hui, 14 février aux aurores, j’ai écrit cette lettre à mon évêque :
« Monseigneur,
J’ai l’honneur de vous adresser la présente correspondance. S’il est certain que la forme de mon courrier, ne respecte pas les usages, une telle présentation obéit à une logique sur laquelle j’entends, non sans embarras, faire la lumière. Ma posture s’explique, premièrement, par le fait que je ne suis plus certain de faire partie du corps de la prêtrise, au moment où je vous écris.
Les quarante années passées dans cette fonction ont été pour moi exaltantes. J’ai rencontré des personnes de qualité : ouvertes, franches, enthousiastes et consciencieuses. Leur ardeur au travail et leur dévouement pour la cause de l’Eglise m’ont marqué. Vous êtes l’une de ces figures, dont la méthode de travail aura été de nature à m’insuffler un dynamisme et une conscience professionnelle raffermis.
Mais je vous dois un aveu : j’ai rencontré la vie. Les faits remontent à mars 2011, où les affrontements entre factions armées avaient rendu infranchissable, un soir, l’accès à ma maison. La vie et moi, nous étions alors rendus du Plateau à sa Résidence des Deux-Plateaux. La situation sécuritaire étant restée préoccupante, toute la soirée, j’avais séjourné sous son toit. J’y suis revenu plus d’une fois. Je vous en dois l’aveu.
Les heures passées chez elle, ont modifié mon existence, d’une manière qu’il me plait d’épargner à votre délicate conscience. Je puis simplement vous dire, en termes volontairement elliptiques, que j’ai renoncé au célibat et donc à la prêtrise, mais pas au service de Dieu. Celle dont l’image agite mes nuits depuis ce mois de mars 2011 me le commande. Dieu est Amour, Dieu est l’Amour.
Son image danse dans ma tête comme un refrain insolent. Je m’en défends mais, de sa souveraine autorité, elle s’impose, à ma conscience. Elle piétine la quiétude de mes journées, disperse la clarté de mes soirs. Elles s’immisce jusque dans le chant de mes offices religieux, habite toutes les allées de ma pensée !
Chaque ligne de mes mains porte les syllabes de son nom et je n’ai désormais de lettres de groupe sanguin que des initiales de son prénom. Elle est le bleu dans la tinte de mon ciel, la douceur dans la marche de mes heures. Elle est la lumière dans le disque des auréoles, le ton que prend la félicité quand elle veut enfin me parler !
Il m’est arrivé de contempler des chefs-d’œuvre, d’effectuer des études, d’obtenir des parchemins, de tracer des sillons. Mais à présent, je sais ma destinée. Je sais la lumière par où germent mes soleils, l’argile d’où graine la statuaire de mes bonheurs.
Désormais, ma lucidité est entière. Ma responsabilité absolue. Je ne suis pas poète ! Je ne suis pas artiste ! Je ne suis pas penseur! Je dépose ici, juste les tourments de mes éclats de passion !
Monseigneur,
Les mots de la présente correspondance, j’en suis conscient, peuvent paraitre scandaleux. Je mesure pleinement ce que me coûte chaque parole d’une telle épître. Mais personne n’est digne de vivre avec une femme, si pour elle, il n’est prêt à mourir.
Moi, j’ai 65 ans et cette femme pour laquelle mon cœur bat en a 40. Je vous parais fou. J’en conviens. Mais la seule unité de mesure de l’amour, c’est la démesure. Le seul alphabet de la passion, c’est la folie. Je me devais de vous faire part de la mienne. Elle m’habite, sans appel, depuis ce jour de mars, où là j’ai été, par elle, conquis. Irrémédiablement.
Monseigneur!
La présente lettre vous est adressée. Elle me conduira au conseil de discipline. Mais soyez-en assuré: quelque soit la suite donnée à ma missive, ma passion à son égard demeurera sans faille, mon amour inaltérable !
Ce dont j’ai l’honneur de vous rendre compte. Dieu est Amour. Dieu est l’Amour ».
Fait à Abidjan, le 14 février 2013
Marc-Henri Ettien
Prêtre Diocésain
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Cet article a été écrit par Marc-Henri Ettien
Comments (33)
Marc-Henry,
Ce texte est-il autobiographique ou inspiré des faits réels?
Rien de tout cela. De la pure imagination, de la simple fantaisie et la stricte volonté de dire les choses comme elles viennent. Je suis très loin d’avoir 65 ans et plus encore loin d’être autant passionné d’une femme !
Que dire de cette melodie? Que dire encore de son Maestro?… Respect.
Merci Tanya. Venant de toi, ces mots me font plus que plaisir. Ton regard m’importe, autant que ta plume !
très poétique aussi surprenant que ton premier texte je suis certaine que tu vas faire des heureux avec cette histoire je te l’ai dit la dernière fois et je le redis dit à la musique que tu épouses sa mère. Cependant pour moi mettre l’église dans une situation pareille est dévalorisant et insultant mais l’on ne peut comprimer l’imagination d’un artiste alors je m’incline, meme si j’aurai voulu finir sous une note beaucoup plus drole domage
Oh Licka, oh ma choops, ne sois pas aussi chatouilleuse ! Je pense que chaque auteur a une mission pédagogique et un devoir de vraissemblance, si ce n’est pas un devoir de vérité. L’Eglise pour laquelle j’ai un respect légitime et sans borne, n’est malheureusement pas à un scandale près ! Ce qui est dit ici est dérisoire par rapport à bien des choses avérées au sein de l’Eglise. Il n’y a donc rien de calomnieux ou d’injurieux. Il est simplement question de montrer l’universalité de l’Amour et d’énoncer un plaidoyer en faveur de la lucidité pour tous…
Bravo, franchement bravo, rien à redire, je n’ai pas simplement lu mais j’ai avalé chaque mot. Bravo.
Merci Kaba, merci pour tes mots !
Je rejoins Tanya, tu n’as pas écrit tu as chanté, je ne t’ai pas lu non plus j’ai épluché ton texte. Bravo et merci de nous honorer de ta présence sur ce site.
Merci Skyrocket ! Merci pour tes mots gentils.
Waouh ! Très belle plume. Tout le monde a droit à l’amour car l’amour c’est la vie. J’imagine la tête de l’évêque…Vive l’amour <3
lol la tête de l’Évêque, je n’ai pas cherché à la voir. Peut-être si cette histoire a une suite, on verra bien ce qui s’est passé ce 14 février, date à laquelle nous sommes précisément aujourd’hui. T’inquiète pas, je vais « m’affairer » auprès de mon imagination pour qu’elle me dise ce qu’elle a vu !
je suis charmé juste parce que tu as dit » oh licka oh ma choops » hummmmmmmmmm lol ok je vois ta vision ta plume est magnique merci
Oh Licka oh ma choops, c’est ce que que m’inspire ton pseudo ! Je le trouve très musical. Un tel surnom traduit necessairement une personnalité délicate, d’où mon appropriation tacite du personnage !
je ne sais quoi répondre a cela a part que je suis sans voix lol tu aimes la musique cela se percoit dans ce que tu écris finalement ne dit plus a ta femme la musique que tu la laisse pour l’écriture avec toi elles sont des concubines hors norme et font vivre ta plume.
Oui j’ai la musique et l’écriture, mais je crois qu’il manque une à l’appel ! Tu crois pas ma choops ? lol
et que manque t’il? et arrete de me faire rougir lol
Je m’arrête là Oh ma Licka, oh ma Choops ! Mon Évêque me regarde !
mdr tu sais après cette lettre il a bien comprit que tu préfère la vie alors ne te cache plus défend ton amour tu es un homme libre!
Oh tu sais ma Choops, on ne s’habitue pas aussi facilement à la…Vie !
Ça va venir, peut-être. Mais figure-toi qu’il n’a pas accepté ma démission. Enfin jusqu’à ce soir à 19 h, il me proposait encore de me ressaisir ! Et, toi, tu me conseilles quoi ? Faire le grand saut ?
Oh ma Choops, « laisse-moi réfléchir » comme disent les ivoiriennes…
trop de réflexions tue la réflexion écoute la voix de ton coeur qui slame sous cette tendre mélodie qu’est l’amour 65ans!! NON l’heure n’est plus à la reflexion mais mais à la vie mon très chers vivez je vous en pris
Ça marche ! L’actualité le montre : il n’est jamais trop tard pour démissionner !
Je verrai !
d’accord en attendant votre réponse je chanterai tout haut la mélodie de l’amour. lol et cessons de faire de cette page le lieu de nos » discours sur la vie ». Ici je marque un point en espèrant apprendre un jour que vous choisis de vivre, car lorsque cela sera fait enfin je pourrai etre vitre vie lol
vous me faite perdre mes moyens si bien que je me pers dans mes mots lol pardon pour les coquilles dans mon message
Pas de problème ma choupinette. Les fautes, ça fait partie de la vie…
Très belle lettre! aussi scandaleuse que pure!
Par contre, l’auteur aurait dû laisser la Vie telle, sans la personnaliser, j’étais déçue par exemple de savoir son prénom, son âge. Il y aurait plus de charme à garder le mystère tout en la décrivant. simple avis 🙂
Ravis, d’un tel avis, Mais le charme est une donnée subjective. Comment le contenter sans se fourvoyer ? La prochaine fois je réfléchirai avant de donner l’âge d’une femme. Il semble qu’elles n’en ont pas.
Mais oui la vie n’a pas d’âge, elle est éternelle lol!
Je ne veux pas chipoter mais est ce que l’expression correcte ne serait pas « dans l’embrasure » au lieu de « en »?
Ce serait quoi la différence ?
Une phrase du texte est pleine de vérité: « …la seule unité de mesure de l’amour, c’est la démesure »! Et à partir de là, on peut dire que c’est sans limite qu’on doit aimer quelqu’un, sans considération de la religion, de la différence d’âge entre soi et l’être aimé, et de tous les éléments éventuels qui peuvent être vus comme des freins à la matérialisation franche de l’amour. J’ai beaucoup aimé le texte et je continue ma formation en lisant l’auteur qui est sacrément talentueux!
Merci Hanielophir, tout auteur naît dans le regard de son lecteur. Merci de me lire et d’apprécier.
Je partage l’avis de l’auteur du texte. Aimer son Eglise ne veut en aucun cas dire qu’il faut fermer les yeux sur les manquements. A force de lueur, il fera jour. Et puis, je ne te félicite pas, toi le prêtre qui préfère renoncer à la prêtrise (lol), mais, au nom de la tolérance (que l’humain exècre paradoxalement?), je m’en vais te dire que je respecte ta décision (lol) de toute façon, « la seule unité de mesure de l’amour, n’est-ce pas la démesure ? Merci, chef Ettien pour ce délice pant…